Mimo Jodice “risvegliò l’umanità dormiente della storia”.
La Repubblica rend hommage au photographe napolitain qui vient de décéder à 91 ans. Né en à Naples dans le quartier de la Sanità, cet autodidacte a utilisé la photographie librement, en dehors de toute convention documentaire.
Avant de devenir le grand interprète du paysage métaphysique et de l’archéologie méditerranéenne, Jodice a tourné son objectif vers la Naples vivante et populaire. Dans les ruelles, entre les cours et les places, il a photographié des jeunes, des personnes âgées, des femmes, des fidèles : une foule minuscule et digne, jamais spectaculaire. Des séries telles que Chi è devoto (Qui est dévot, 1970) et les premières Vedute di Napoli (Vues de Naples) témoignent de ce regard complice.
Comme le rappelle Il Giornale dell’arte dans son hommage au photographe : “Jodice ne recherche pas l’événement, mais la présence silencieuse, la tension spirituelle qui habite le quotidien. C’est au cours de ces années que son noir et blanc acquiert cette densité dramatique et picturale qui deviendra une constante stylistique”.
Un jour, un photographe militant est devenu un voyageur enchanté. Résumée en un conte ou une parabole, telle était la vie de Mimmo Jodice. Il devait beaucoup à cette ville, mais l’inverse était également vrai. Il raconta ses passions politiques et ses souffrances sociales, ses plis et ses plaies, sa pauvreté et son choléra, mais aussi son immense beauté, son mystère, sa volonté de rédemption.
Il nous laisse une œuvre universelle. Pourtant, Jodice sans Naples est inconcevable. « Si j’étais né à Milan ou à Zurich, je ne serais pas devenu photographe. Je n’aurais pas survécu à l’absence de la mer ». Mais l’inverse est également vrai. Naples doit beaucoup à l’homme qui l’a racontée au-delà de tous les clichés stupides, au libraire passionné mais repentant, au photographe par vocation qui, pendant de nombreuses années, a enseigné à voir, depuis la chaire de l’Académie, à ses jeunes amoureux de l’art.
C’est ici, dans les années 1970, alors qu’il était lui-même un jeune passionné d’art, qu’il est devenu photographe et ami de grands artistes. À l’époque où Naples connaissait une période extraordinaire d’échanges culturels, Warhol, LeWitt, Beuys, Acconci, Rauschenberg, Nitsch, Jodice les rencontrait tous à la galerie Amelio de la place Martiri, il les abordait, les photographiait, et eux interagissaient avec ses photographies, ce qui donnait lieu à un formidable court-circuit.
Au début, la bataille du jeune rebelle Mimmo était justement contre son propre médium : la photographie. Furieux contre ses stéréotypes, contre sa fausse transparence, il photographiait, déchirait, collait, réécrivait. Puis vinrent les années où ces combats de rupture se déroulaient dans les rues, et il descendit alors dans la rue, pour photographier la lutte, apportant ses photographies de dénonciation sociale aux journaux de gauche et aussi, la nuit, avec sa femme Angela, compagne et collaboratrice de toute une vie, en les laissant sur les murs et les trottoirs des quartiers bourgeois, afin que ces privilégiés voient ce qu’ils ne voulaient pas voir. Mais cette bataille fut perdue.
Le choléra, le tremblement de terre : au début des années 80, Jodice s’est résigné à la défaite des années de désir, au désengagement, à la fin des espoirs civils et politiques. « D’une année à l’autre, presque d’un jour à l’autre, plus personne ne s’intéressait à ce que je voyais », expliquait-il à propos de ce tremblement de terre des consciences, « les hommes ne s’intéressaient plus aux hommes. Alors je les ai fait sortir du cadre ».
Il décida que, si l’humanité avait choisi de déserter, ses photographies se passeraient de la figure humaine. Il vida Naples. Le photographe qui, jusqu’alors, avait raconté la vie chaotique et sanguine des enfants des rues, des contrebandiers, des bas-fonds et des quartiers menacés par le choléra, a rendu sa ville métaphysique dans un livre qui en a surpris plus d’un, au titre faussement carte postale : Vedute di Napoli (Vues de Naples).
C’était sa « protestation muette », comme l’avait déjà deviné à l’époque un critique perspicace, Arturo Carlo Quintavalle. Mais les choses ne se sont pas exactement passées ainsi, il ne s’agissait pas vraiment d’une dissipatio humani generis. Jodice a certes tourné son objectif vers les pierres anciennes. Mais dans les musées archéologiques, les fouilles, le Naples souterrain, il n’a pas trouvé de marbres froids, mais des nerfs, des visages et des corps. Il a appelé, réveillé l’humanité endormie de l’histoire.
Il aimait une phrase de Pessoa : « Mais à quoi pensais-je avant de me perdre dans la contemplation ? ». Car contempler, c’est se perdre, mais, comme c’est le cas pour ses statues, c’est aussi se réveiller, pour se retrouver humain.
